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Armageddon

Pourquoi le monde est-il dramatiquement à court de dollars américains en dépit d'assouplissements monétaires sans précédent ?

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En dépit des injections massives de liquidités, on peut observer des tensions préoccupantes sur le financement en dollars américains.

 

Inquiétant ?

 

Oui, lorsque l'on sait qu'un grand nombre d'acteurs (émergents, système bancaire européen pour ne citer qu'eux) dépendent du dollar américain pour se refinancer.

D'après l'Agefi Actifs - 30/03/2020 :

"Entre les injections quotidiennes de liquidités sous forme de «repo» que la Fed propose à très grande échelle si besoin, et son QE illimité qui augmente de facto les réserves utilisables des banques, les marchés interbancaires semblaient plutôt apaisés la semaine dernière : après les nouvelles tensions de mi-mars, l’indice Sofr des taux «repo» moyens s’affichait au plus bas (0,01%), même si l’indice FRA-OIS remonté autour de 56 points laissait réapparaître quelques craintes pour la liquidité à terme."

Qu'impliquent ces tensions sur l'indice FRA-OIS ? En quoi cela peut nous concerner ?

Je vous livre ce texte de Daniel Lacalle, qui constitue de mon point de vue la réflexion la plus aboutie sur un sujet d'importance majeure.

Je vous propose une traduction en français, loin d'être parfaite, mais qui pourra certainement être utile.

Puis une rapide réflexion concernant les taux US.

Why the World Has a Dollar Shortage, Despite Massive Fed Action

    03/31/2020 Daniel Lacalle - Traduction Andy Bussaglia

    How can the Fed launch an “unlimited” monetary stimulus with congress approving a $2 trillion package and the dollar index remain strong? The answer lies in the rising global dollar shortage, and should be a lesson for monetary alchemists around the world.

    Comment la Fed peut-elle lancer un stimulus monétaire « illimité » tout en ayant le Congrès approuvant un paquet de 2 000 milliards de dollars et l’indice du dollar restant à un niveau élevé ? La réponse réside dans la hausse de la pénurie de dollars dans le monde et devrait être une leçon pour les alchimistes monétaires du monde entier.

    The $2 trillion stimulus package agreed by Congress is around 10% of GDP and, if we include the Fed borrowing facilities for working capital, it means $6 trillion in liquidity for consumers and firms over the next nine months.

     

    Le plan de relance de 2 000 milliards de dollars de dollars convenu par le Congrès représente environ 10 % du PIB et, si nous incluons les facilités d’emprunt de la Fed pour le fonds de roulement, cela signifie 6 000 milliards de dollars de liquidités pour les consommateurs et les entreprises au cours des neuf prochains mois.

    The stimulus package approved by Congress is made up of the next key items: Permanent fiscal transfers to households and firms of almost $5 trillion. Individuals will receive a $1,200 cash payment ($300 billion in total). The loans for small businesses, which become grants if jobs are maintained ($367 billion). Increase in unemployment insurance payments which now cover 100% of lost wages for four months ($200 billion). $100 billion for the healthcare system, as well as $150bn for state and local governments. The remainder of the package comes from temporary liquidity support to households and firms, including tax delays and waivers. Finally, the use of the Treasury’s Exchange Stabilization Fund for $500bn of loans for non-financial firms.

    Le plan de relance approuvé par le Congrès est composé des éléments clés suivants : transferts budgétaires permanents aux ménages et aux entreprises de près de 5 000 milliards de dollars. Les particuliers recevront un paiement en espèces de 1 200 $ (300 milliards de dollars au total). Les prêts aux petites entreprises, qui deviennent des subventions si les emplois sont maintenus (367 milliards de dollars). Augmentation des prestations d’assurance-chômage qui couvrent maintenant 100 % des salaires perdus pendant quatre mois (200 milliards de dollars). 100 milliards de dollars pour le système de santé, ainsi que 150 milliards de dollars pour les gouvernements des États et des municipalités. Le reste du train de mesures provient d’un soutien temporaire des liquidités aux ménages et aux entreprises, y compris des retards fiscaux et des exonérations. Enfin, l’utilisation du Treasury’s Exchange Stabilization Fund pour 500 milliards de dollars de prêts aux entreprises non financières.

    First, we must understand that the word “unlimited” is only a communication tool. It is not unlimited. It is limited by the confidence and demand of US dollars.

    I have had the pleasure of working with several members of the Federal Reserve, and the truth is that they know it is not unlimited. But they know that communication matters.

    Tout d'abord, nous devons comprendre que le mot «illimité» n'est qu'un outil de communication.   Ce n'est pas illimité. La limite, c'est la confiance et la demande de dollar américain. J'ai eu le plaisir de travailler avec plusieurs membres de la Réserve fédérale, et la vérité est qu'ils   savent que ce n'est pas illimité. Mais ils savent que la communication est importante.

    The Federal Reserve has identified the Achilles heel of the world economy: the enormous global shortage of dollars. The global dollar shortage is estimated to be $13 trillion now, if we deduct dollar-based liabilities from money supply including reserves.

    La Réserve fédérale a identifié le talon d’Achille de l’économie mondiale : l’énorme pénurie mondiale de dollars. La pénurie mondiale de dollars est estimée à 13 000 milliards de dollars aujourd’hui, si nous déduisons le passif en dollars de la masse monétaire, y compris les réserves.

    How did we reach such a dollar shortage? In the past 20 years, dollar-denominated debt in emerging and developed economies, led by China, has exploded. The reason is simple, domestic and international investors do not accept local currency risk in large quantities knowing that, in an event like what we are currently experiencing, many countries will decide to make huge devaluations and destroy their bondholders.

    Comment en sommes-nous arrivés à une telle pénurie? Au cours des 20 dernières années, la dette libellée en dollars dans les économies émergentes et développées, menée par la Chine, a explosé. La raison en est simple, les investisseurs nationaux et internationaux n’acceptent pas le risque de change local en grande quantité sachant que, dans un événement comme celui que nous vivons actuellement, de nombreux pays décideront de faire d’énormes dévaluations et de faire défaut vis-à-vis des détenteurs d’obligations.

    According to the Bank of International Settlements, the outstanding amount of dollar-denominated bonds issued by emerging and European countries in addition to China has doubled from $30 to $60 trillion between 2008 and 2019. Those countries now face more than $2 trillion of dollar-denominated maturities in the next two years and, in addition, the fall in exports, GDP and the price of commodities has generated a massive hole in dollar revenues for most economies.

    Selon la Banque des règlements internationaux, l’encours des obligations libellées en dollars émises par les pays émergents et européens, en plus de la Chine, a doublé, passant de 30 000 à 60 000 milliards de dollars entre 2008 et 2019. Ces pays doivent maintenant faire face à des échéances de plus de 2 000 milliards de dollars au cours des deux prochaines années, en affrontant en même temps : la chute des exportations, la chute de leur PIB et la chute du prix des matières premières. Cela créé un trou énorme dans les revenus en dollars pour la plupart des économies.

    If we take the US dollar reserves of the most indebted countries and deduct the outstanding liabilities with the estimated foreign exchange revenues in this crisis … The global dollar shortage may rise from 13 trillions of dollars in March 2020 to $ 20 trillion in December … And that is if we do not estimate a lasting global recession.

    Si nous prenons les réserves en dollars américains des pays les plus endettés et déduisons l’encours du passif avec les recettes de change estimées dans cette crise … La pénurie mondiale de dollars pourrait passer de 13 000 milliards de dollars en mars 2020 à 20 000 milliards de dollars en décembre … Et cela, si nous estimons que la récession mondiale ne sera pas durable.

    China maintains $3 trillion of reserves and is one of the best-prepared countries, but still, those total reserves cover around 60% of existing commitments. If export revenues collapse, dollar scarcity increases. In 2019, Chinese issuers increased their dollar-denominated debt by $ 200 billion as exports slowed.

    La Chine conserve des réserves de 3 000 milliards de dollars et est l’un des pays les mieux préparés, mais ces réserves totales couvrent environ 60 % des engagements existants. Si les recettes d’exportation s’effondrent, la pénurie de dollars augmente. En 2019, les émetteurs chinois ont augmenté leur dette libellée en dollars de 200 milliards de dollars à mesure que les exportations ralentissaient.

    Gold reserves are not enough. If we look at the main economies’ gold reserves, they account for less than 2% of money supply. Russia has the largest gold reserves vs money supply. China’s gold reserves: 0.007% of its money supply (M2), Russia’s gold reserves: about 9% of its money supply. As such, there is no “gold-backed” currency in the world, and the best protected—in gold—the Ruble, suffers the same volatility in commodity slump and recession times as others due to the same issue of US dollar scarcity, although not even close to the volatility of those LatAm countries that face both falling US dollar reserves and a collapse in demand from their own citizens of their domestic currency (as in Argentina).

    Les réserves d’or ne suffisent pas. Si nous examinons les réserves d’or des principales économies, elles représentent moins de 2 % de la masse monétaire. La Russie a les plus grandes réserves d’or comparées à la masse monétaire.

    Réserves d’or de la Chine : 0,007% de sa masse monétaire (M2), réserves d’or de la Russie : environ 9% de sa masse monétaire.

    Par conséquent, il n’y a pas de monnaie adossée à l’or dans le monde, et la monnaie la mieux protégée — en or — le rouble, souffre de la même volatilité que les autres lors d’épisodes d'effondrement des cours des matières premières et lors des périodes de récession en raison du même problème de pénurie de dollars américains, bien que ce ne soit pas comparable à la volatilité des pays d'Amérique Latine qui font face à la fois à la baisse des réserves de dollars américains et à un effondrement de la demande de leurs propres citoyens de leur monnaie nationale (comme en Argentine).

    The Federal Reserve knows that it has the largest bazooka at its disposal because the rest of the world needs at least $20 trillion by the end of the year, so it can increase the balance sheet and support a large deficit increase of $10 trillion and the US dollar shortage would remain.

    La Réserve fédérale sait qu’elle a le plus gros bazooka à sa disposition parce que le reste du monde a besoin d’au moins 20 000 milliards de dollars d’ici la fin de l’année, elle peut donc augmenter son bilan et soutenir une importante augmentation du déficit de 10 000 milliards de dollars, alors même que la pénurie de dollars américains persisterait.

    The US dollar does not weaken excessively because the rest of the countries are facing a huge loss of reserves while at the same time increasing their monetary base in local currency much faster than the Federal Reserve, but without being a global reserve currency.

    Le dollar américain ne s’affaiblit pas excessivement parce que le reste du monde est confronté à une énorme perte de réserves tout en augmentant la base monétaire en monnaie locale, beaucoup plus rapidement que la Réserve fédérale, mais sans être une monnaie de réserve mondiale.

    Second, the accumulation of gold reserves of the central banks of the past years has been more than offset in a few months by the increase in the monetary base of the world-leading countries. In other words, the gold reserves of many countries have increased but at a much slower rate than their monetary base.

    Deuxièmement, l’accumulation des réserves d’or des banques centrales au cours des dernières années a été plus que compensée en quelques mois par l’augmentation de la base monétaire des pays leaders dans le monde. En d’autres termes, les réserves d’or de nombreux pays ont augmenté mais à un rythme beaucoup plus lent que leur base monétaire.

    The Federal Reserve knows something else: In the current circumstances and with a global crisis on the horizon, global demand for bonds from emerging countries in local currency will likely collapse, far below their financing needs. Dependence on the US dollar will then increase. Why? When hundreds of countries try to copy the Federal Reserve printing and cutting rates without having the legal, investment and financial security of the United States, they fall into the trap that I comment in my book Escape from the Central Bank Trap: ignoring the true demand for their domestic currency.

    La Réserve fédérale sait autre chose : dans les circonstances actuelles et avec une crise mondiale à l’horizon, la demande mondiale d’obligations en devises locales des pays émergents s’effondrera probablement, bien en deçà de leurs besoins de financement. La dépendance au dollar américain va alors augmenter. Pourquoi? Quand des centaines de pays essaient de copier la Réserve fédérale, de faire marcher la planche à billets et de réduire les taux sans avoir la sécurité juridique, d’investissement et financière des États-Unis, ils tombent dans le piège que je commente dans mon livre "Escape from the Central Bank Trap", ignorant la véritable demande de leur monnaie nationale.

    A country cannot expect to have a global reserve currency and maintain capital controls and investment security gaps at the same time.

     

    Un pays ne peut pas s’attendre à avoir une monnaie de réserve mondiale et à maintenir en même temps le contrôle des capitaux et les lacunes en matière de sécurité des investissements.

    The ECB will likely understand this shortly when the huge trade surplus that supports the euro collapses in the face of a crisis. Japan learned that lesson by turning the yen into a currency backed by huge dollar savings and increased its legal and investment security to the standards of the US or UK, despite its own monetary madness.

    La BCE le comprendra probablement sous peu lorsque l’énorme excédent commercial qui soutient l’euro s’effondrera face à une crise. Le Japon a appris cette leçon en transformant le yen en une monnaie soutenue par d’énormes économies en dollars et en accroissant sa sécurité juridique et ses investissements aux normes des États-Unis ou du Royaume-Uni, malgré sa propre folie monétaire.

    The race to zero of central banks in their monetary madness is not to see who wins, but who loses first. And those that fail are always the ones who play at being the Fed and the US without the US's economic freedom, legal certainty, and investor security.

     

    La course à zéro des banques centrales dans leur folie monétaire n’est pas de voir qui gagne, mais qui perd en premier. Et ceux qui échouent sont toujours ceux qui jouent à être la Fed et les États-Unis sans la liberté économique, la sécurité juridique, et la sécurité des investisseurs des États-Unis.

    The Federal Reserve can be criticized, and rightly so, for its monetary madness, but at least it is the only central bank that truly analyzes the global demand for US dollars and knows that its money supply must increase a lot less than its total currency demand. In reality, the Fed QE is not unlimited, it is limited by the real demand for US currency, something that other central banks ignore or prefer to forget. Can the US dollar lose its global reserve position? Sure it can, but never to a country that decides to commit the same monetary follies as the Fed without their analysis of real demand for the currency they manage.

    La Réserve fédérale peut être critiquée, et à juste titre, pour sa folie monétaire, mais au moins c’est la seule banque centrale qui analyse vraiment la demande mondiale de dollars américains et sait que sa masse monétaire doit augmenter beaucoup moins que sa demande totale de devises. En réalité, le QE de la Fed n’est pas illimité, il est limité par la demande réelle de devises américaines, ce que les autres banques centrales ignorent ou préfèrent oublier. Le dollar américain peut-il perdre sa position de réserve mondiale? Bien sûr qu’il peut, mais jamais face à un pays qui décide de commettre les mêmes folies monétaires que la Fed sans leur propre analyse de la demande réelle pour la monnaie qu’ils gèrent.

    This should be a lesson for all countries. If you fall into the trap of playing reserve currency and endless printing without understanding demand, your US dollar dependence will intensify.

    Cela devrait être une leçon pour tous les pays. Si vous tombez dans le piège de la monnaie de réserve et de l’impression sans fin sans comprendre la demande, votre dépendance en dollars américains s’intensifiera.

    Originally published at DLacalle.com  

    Author:

    Daniel Lacalle

    Daniel Lacalle has a PhD in Economics and is author of Escape from the Central Bank Trap, Life in the Financial Markets, and The Energy World Is Flat.

    Je vous livre en parallèle une réflexion de Torsten Slok, chef économiste de Deutsche Bank.

     

    Selon lui, le soutien à l'économie au cours des prochains trimestres viendra des politiques budgétaires. Un plus grand déficit budgétaire rime normalement avec des taux plus élevés, mais depuis 2009 ce lien de cause à effet a été rompu aux Etats-Unis en raison précisément des politiques monétaires des banques centrales (Quantitative Easing et Forward Guidance) et de la chasse au rendement à tout prix (ou à tout risque).

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    Mais le second graphique ci-dessous suggère selon lui qu'une fois que l'économie est en récession, la prime de risque augmente en principe, et au fur et à mesure les investisseurs regardent vers l'avant et commencent à voir la lumière au bout du tunnel économique.

    La grande question selon Torsten Slok est la suivante : Est-ce que les taux longs resteront bas en raison des politiques extrêmes de banques centrales, ou alors est-ce qu'à un certain stade la reprise économique (et je me permets de rajouter : inflation ?) et un déficit fiscal grandissant commenceront bientôt à pousser les taux à des niveaux plus élevés ? (et je me permets de rajouter : pourrait-on avoir le luxe de se le permettre compte tenu de l'endettement global et de l'ensemble des dettes à refinancer ?)

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    Andy BUSSAGLIA

     

    Ces propos n’engagent que son auteur et ne constituent pas un conseil en investissements.

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